PENSEES AMERES
Tous les doutes, cortège sombre,
Hier ont fondu sur mon coeur ,
Comme un essaim d'oiseaux sans nombre
Qui passaient en jetant dans l'ombre
Un cri déchirant et moqueur.
L'un me disait : "Pourquoi sans cesse
Sur ta tête ce ciel d'airain ?
Pourquoi cette ombre à ta jeunesse
Et cette épine qui te blesse
A chaque pas de ton chemin ?
Combien d'heureux sur cette terre,
Passent par des sentiers fleuris !
Qui t'a fait ta part si sévère ?
Pour toi, les pleurs , la vie amère,
Pour eux les chansons et les ris.
Plus cruelle une autre pensée
Alors vint m'étreindre à son tour.
Elle me dit : pauvre insensée,
Ton âme morne et délaissée,
Pourrait-elle croire à l'amour ?
Ceux près de qui ton chemin passe
T'aiment bien moins que tu ne crois.
Ton amitié souvent les lasse,
Aucun d'eux ne prendrait ta place,
Aucun d'eux ne porterait ta croix.
Si tu mourrais, l'oubli facile
Bientôt calmerait leur chagrin :
L'amour d'outre-tombe est fragile...
A pas un d'entre eux, tu n'es utile.
Chacun sans toi suit son destin.
D'ailleurs n'as-tu pas encore
Compris ce que cachent souvent
Tant de sentiments qu'on honore,
Tant de vertus au nom sonore,
Vain bruit, mirage décevant ?
N'as-tu pas vu ce qui s'agite
Dans les coeurs les plus vertueux,
Et sous quel dehors hypocrite
Le vice ou l'intérêt s'abrite,
Pour nous surprendre d'autant mieux.
A quoi bon toute ta souffrance ?
A quoi bon ton rêve trompeur ?
Laisse là ta vaine espérance,
La révolte est une puissance
Et la liberté , le bonheur !
Pleine d'une angoisse mortelle,
En écoutant l'accent moqueur
De la voix perfide et cruelle,
Je sentais que l'ange rebelle
Avait mis la main sur mon coeur.
Longtemps je l'y retins glacée,
M'enivrant de mon désespoir,
Sans vie, sans souffle, sans pensée.
C'était comme une trépassée ,
Qu'à ma place, je croyais voir.
Soudain d'une plus froide étreinte,
Sentant cette main me serrer,
Je la repoussais. L'aube éteinte,
Au ciel renaissait pure et sainte.
Alors je me mis à pleurer !