Sylvie Dubin : "Cette ville m'accroche le coeur"
Alors que débute la saison des prix littéraires, nous avons eu envie de donner la parole aux écrivains angevins. Quelle perception ont-ils d'Angers ? Avec leurs mots, ils nous parlent de leur rapport à cette ville. Première à se livrer à cet exercice : Sylvie Dubin , auteur de "Vent de boulet" (Editions Paul&Mike)
"Certaines rencontres marquent à jamais la perception que l'on a d'une ville. Je visitais le château du Roi René, j'avais franchi ses douves aux parterres un peu maniérés, et me trouvais dans la salle de l'Apocalypse. C'est là que je suis tombée nez à nez avec un lapin. A vrai dire, je le cherchais;on m'avait dit qu'il gîtait dans la fameuse tenture. Au bas de la troisième pièce, dans le bandeau figurant le sol, je l'ai débusqué. Il avait déjà pénétré dans son terrier, ne laissant voir que son arrière-train. Fuyait-il, au- dessus de lui, le terrible Dragon combattant les serviteurs de Dieu ? Les tableaux suivants n'avaient rien de rassurant. La Bête, toujours la Bête. Mon lapin se gardait bien de réapparaître. Il s'y décida, quelque trente pas plus loin, quand une voix du ciel annonça à Jean que les morts, au jour de la Résurrection, seraient jugés selon leurs oeuvres. Mon animal ne risquait plus rien, lui qui était blanc comme neige...
La tête vers l'avenir
Un lapin blanc , oui pareil à celui d'Alice, le museau frémissant, les oreilles dressées et l'oeil clair. Rira- t-on si je dis qu'Angers est pour moi tout entière résumée dans ce lapin blanc ? Un lapin prudent qui évite de se mêler aux scènes principales, se plaît plutôt à caracoler côté jardin, dans la tranquillité des fleurs. Le cul dans le passé, la tête vers l'avenir, témoin à la fois de ce qui est à craindre et de ce qui est à espérer, de l'erreur et de la nouvelle chance. L'arrêt de Louis Guilloux m'étonne : "Ville sans mystère sous le plus niais des ciels, Angers." Sans mystère ? Il n'avait pas dû suivre le lapin blanc, quittant le Mail tiré au cordeau, longeant les façades bienséantes des immeubles haussmanniens, pour fouler les pavés capricieux de la vieille cité; il avait raté sur le pont de la Basse-Chaîne, les soleils d'automne sur la Cale de la Savatte, et les nuées chavirées au-dessus de la Censerie. Lui a t-on au moins raconté la galerie souterraine qui relie le Carmel au Château ? Je sais, moi, l'entrée secrète de ce formidable terrier : elle est dans mon jardin...Je ne comprends pas davantage la tenace prévention de Gracq à son égard, qui raille une ville "au pouls légèrement ralenti". La lenteur d'un pouls n'est-il pas gage de longévité ? Il n'a pas eu le temps de croiser skaters et breackdancers devant la coque de verre du Quai ; il n'aurait sans doute pas goûté les tempos furieux sur les rives de la Maine, les nuits d'été.
Rien de trop
Angers est une ville moyenne, je le concède ; elle n'a rien de trop : riche sans trop, peuplée sans trop, animée sans trop. Sans doute, faut-il aimer la mesure pour aimer Angers. Ce rien de trop, je le consomme quant à moi sans modération. Si je devais citer une ville où il est doux de vivre, c'est elle que je mettrais au tout premier plan, elle qui m'accroche le coeur...
Et puis je suis liée à Angers par une révélation: j'y suis entrée en écriture , comme on entre en sainteté -toute proportion gardée, histoire de revenir à mon lapin d'apocalypse. Il s'aventure hors de son terrier, tandis que l'apôtre attend, un rouleau sur les genoux, plume à la main. Un Ange paraît et lui dit : "Ecris !" Il déploie un phylactère portant la parole divine , que Jean n'aura qu'à recopier. Heureux homme qui n'a pas à chercher l'inspiration ! Mais ce parallèle me flatte, je sors de cette modestie que je viens d'encenser. Mea culpa : au regard du livre sacré, les miens ne valent guère mieux qu'un pet de lapin."
(Extrait d'Angers. maville du 26 octobre 2016 au 1er novembre 2016 (petit journal gratuit de la ville d'Angers)